XVIIème Université d’été anglophone de sciences humaines

Histoire, historiographies et politique, du 20 août au 7 septembre 2001 à Cetinje, Monténégro (RFY)


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Co-organisée avec Euro-Balkan Institute (Skopje), en coopération avec le Centre culturel français, Podgorica ; avec la participation de : The Mobil Art Foundation (Podgorica), CEDEM (Podgorica), le journal Monitor (Podgorica). Avec le soutien de : Conseil de l’Europe, Ministère français des Affaires étrangères, The Open Society Institutes (East-east programme), Fondation européenne de la culture (Amsterdam), Die Robert Bosch Sitftung (Stuttgart).

 

 

Conclusions générales

 

La 17e université d’été de Transeuropéennes, anglophone, coorganisée avec l’Institut Euro-Balkan (ONG macédonienne) était à l’origine planifiée en juillet 2001 à Ohrid, Macédoine. Repoussée une première fois, elle a finalement été déplacée au Montenegro, du fait des événements qui secouaient la Macédoine depuis mars 2001. Grâce à un soutien inestimable du Centre culturel français de Podgorica, l’université d’été a pu être mise en place en des temps records à Cetinje, et elle s’est tenue avec succès du 20 août au 7 septembre 2001. Elle a réuni 27 étudiants anglophones de sciences humaines, sciences politiques et droit de toute la région, pour un travail de mise en commun et de coopération sur le thème « Histoire, historiographies et sciences politiques ». Le caractère multidisciplinaire du groupe d’étudiants, ainsi que la nature interdisciplinaire des cours ont permis d’approfondir les échanges et d’élargir la réflexion, tant sur le rôle du passé que de l’utilisation qui en est faite dans la vie sociale et politique, dans la région du Sud-Est comme dans les pays de l’Union européenne. Bien que relativement jeunes, les étudiants ont fait preuve d’une grande maturité, et d’un dynamisme digne d’être souligné. L’ambiance générale de l’université d’été a été particulièrement chaleureuse.

 

Résultats des travaux préparatoires

Les étudiants avaient été priés, avant leur venue à Cetinje, de préparer une contribution personnelle sur les thèmes suivants :

- le rôle de l’altérité et de la différence dans les processus de construction nationale, et sa perception ;

- la relation entre l’expérience personnelle et les stéréotypes produits, reproduits, dans les sociétés, les communautés, etc.

Les résultats de ce travail préparatoire ont révélé une forte capacité d’analyse et de réflexion critique dans le groupe, ainsi qu’une certaine sensibilité aux questions relatives à ces thèmes. Dans bien des cas, ces contributions ont permis aux étudiants de débattre de certaines questions brûlantes dans leur propre pays ou communauté. Ce cadre de travail leur a également permis de tenir une distance critique à l’égard du thème et de ses enjeux, de se positionner dès le départ en tant qu’observateurs.

Cette méthode a également permis de poser ouvertement un certain nombre de questions locales ou nationales (concepts, événements) qui, autrement, seraient restées dans le non-dit.

 

Les axes de travail

Les cours en tant que tels ont porté sur des aspects théoriques, notamment sur la clarification de concepts tels que « nation », « identité », et sur l’utilisation que les pouvoirs politiques, les médias, les arts, etc. font du passé et de l’histoire dans le processus de construction de la nation. Des exemples ont été tirés tant de la region des Balkans que des pays de l’Union européenne (notamment le cas francoallemand). Tant sur le plan national, régional qu’international, ces processus ont été finement analysés, révélant à quel point les points de rapprochement et de coopération peuvent être mis en avant et élaborés, d’une part, et de quelle manière les divergences peuvent faire irruption.

Les cours ont également porté sur les nouvelles approches en matière de recherché historique (mémoire et oubli, histoire du temps présent, histoires individuelles et témoignages – l’ « egohistoire », par opposition à l’histoire collective), et sur des propositions d’analyse de l’histoire de l’Empire ottoman, de l’Union européenne, ou encore des événements des dix dernières années dans les Balkans.

Les étudiants se sont enfin vus proposer une réflexion générale sur les processus de construction de la nation et des sociétés, ainsi que sur l’historiographie comme facteur d’intégration.

Nul doute toutefois que certaines recherches ou certains concepts aient pu apparaître comme provocateurs, aux yeux de certains participants dont le regard et la perception étaient fortement influencés par leur propre contexte de construction nationale.

Particulièrement riche, la composante audio-visuelle du programme a permis de proposer des points de vue complémentaires sur des questions importantes, telles que les guerres de l’ex-Yougoslavie (Suicide d’une nation), les déplacements de population (Sinasos, histoire d’un village déplacé) le nationalisme (Presque Serbe, Baril de poudre).

A l’avenir, cette composante mériterait d’être davantage mise en valeur, et d’être répartie sur toute la durée du programme, la plupart des films ayant été montrés, à Cetinje, durant la première semaine.

 

Bâtir des références théoriques communes

Bien que la transmission de nouveaux outils critiques tels que les approches théoriques croisées et la dimension audio-visuelle ait été particulièrement réussie, il faut constater une grande difficulté à identifier des références théoriques communes parmi les participants venant d’origines géographiques variées. Cela s’est révélé in fine comme un obstacle majeur à des échanges plus approfondis.

Ainsi les échanges ont-ils mis en lumière les divergences d’intérêt des étudiants à l’égard des questions traitées. Toutefois, le travail en groupe a fini par porter ses fruits en fin d’université d’été, créant entre les étudiants des moments d’échange particulièrement bénéfiques. En dépit des difficultés rencontrées, l’effort de réflexion a eu des résultats encourageants. Indépendamment des dynamiques de groupe créées durant les trois semaines, nombreux ont été les étudiants qui ont veillé à développer leurs propres analyses théoriques, fondées sur leur sensibilité intellectuelle et leurs expériences personnelles.

Ce désir de créer un cadre de références intellectuelles commun à tous était très perceptible durant l’université d’été. Celle-ci a été jalonnée par de fortes demandes de définitions, de précisions sur des outils théoriques, et il a souvent fallu redéfinir des termes en cours de discussion afin de pouvoir ramener celle-ci sur la bonne voie.

Quoi qu’il en soit, l’authentique réflexion qui a été menée sur la question de l’altérité et de la différence a retenu fortement l’attention des participants. Le fait que ces jeunes multiplicateurs d’opinion aient évolué vers le besoin de prendre le point de vue de l’autre en compte, et de mettre en question le caractère quasi sacré de la subjectivité a été manifeste.

C’est en effet la notion de “l’autre”, avec ce qu’elle implique d’homogénéisation, d’exclusion et de mise en retrait, qui était au coeur d’une petite pièce de théâtre donnée en représentation par une quinzaine d’étudiants à la fin de l’université d’été.

De même, des notions telles que la temporalité et la subjectivité historique ont été traitées en profondeur, notamment dans leurs liens avec les aspirations politiques.

L’université d’été a eu pour toile de fond le conflit macédonien. Certaines discussions ont été particulièrement chaudes, notamment entre les différents participants originaires de Macédoine, mais il était toutefois étonnant de remarquer que ces mêmes étudiants en avaient en quelque sorte assez des questions soulevées par le conflit : l’autre, la différence, le vivre ensemble, le nationalisme… Malgré leur excellent niveau de connaissance, et leur bonne capacité d’analyse, il n’a pas été possible aux étudiants de surmonter l’appréhension qu’ils avaient tous d’un possible affrontement sur ces questions.

Une tendance s’est fait jour au fil de l’université d’été, sur laquelle Transeuropéennes et ses partenaires devront porter toute leur attention. Il semble que, chez une bonne partie des étudiants, on assiste à un processus d’acculturation relatif au travail des ONG dans la région. Cela entraîne, chez certaines, une attitude consumériste à l’égard des activités proposées, et par le fait qu’ils n’expriment pas particulièrement le désir de s’impliquer ensuite dans des activités de réseaux.

Cela n’a néanmoins pas empêché les dynamiques de groupe, et des propositions concrètes ont été formulées pour la suite de l’université d’été : la création à Sofia d’un groupe d’étude et d’échange entre étudiants, tourné vers les questions sociales et politiques ; un projet d’université d’été itinérante circulant à travers la Bulgarie, la Macédoine, la Grèce, l’Albanie, et les pays de l’ex-Yougoslavie…

En conclusion, l’expérience de ces trois semaines de cours n’a pas seulement permis aux étudiants d’être partie prenante d’un processus d’apprentissage, mais de se rencontrer, de vivre avec “l’autre», et d’appréhender la réalité de la différence à travers la réalité de la coopération.

C’est ce défi de la civilité qui reste l’un des traits dominants de l’université d’été de Cetinje.

 

Synthèse réalisée par Sébastien Babaud, Mucahit Bilici, Ghislaine Glasson Deschaumes

 

 

L’argument thématique


Dire que les Balkans croulent sous le poids de leur passé et de leur histoire est à la fois un lieu commun et un stéréotype récurrent, mais dont les implications méritent analyse. Y a-t-il un excès du passé dans les Balkans, dont il faudrait se débarrasser de manière à “  ivre ”, à être capable d’exister en termes démocratiques ? Y a-t-il un excès d’histoire ?

Un double mouvement contradictoire est à l’oeuvre dans la région. D’une part, les événements historiques sont mythifiés, tenus pour sacrés et nourrissent, à la fois, les mythes nationalistes et la construction du discours sur l’altérité. D’autre part, (et ce n’est pas contradictoire) ils sont réprimés, souvent violemment.

Dans le même temps, la transmission du passé reste une question politique majeure : la réécriture des manuels scolaires est à l’ordre du jour des institutions intergouvernementales ainsi que des fondations et des ONG. “ Les manuels scolaires ainsi que les livres d’histoire nationale – en d’autres termes, des textes destinés à une large partie de citoyens, ou futurs citoyens – restent profondément marqués par les idéologies nationalistes, comme ils l’étaient à la fin du dix-neuvième siècle ” note un historien de la région dans sa présentation d’un des ateliers de Transeuropéennes de 1999. Le rôle des médias dans le développement d’images fausses du passé est bien connu à cet égard et bien analysé aussi.

Peu d’outils sont à la disposition du citoyen pour lui permettre de prendre une certaine distance critique vis-à-vis de ces manipulations de l’histoire. En parallèle, les attitudes de refus de l’histoire et des images du passé sont récurrentes parmi les jeunes générations des pays de la région, qu’il s’agisse de l’histoire récente (le déclenchement des guerres en ex-Yougoslavie, la période communiste, la Seconde Guerre mondiale), ou plus ancienne (la période ottomane, les guerres balkaniques, les ruptures des années 20, etc). Mêlées au silence de leurs parents et/ou de leurs grands-parents, ces attitudes ne sont pas sans effets sur la cohésion sociale et familiale, sur la structuration des liens sociaux et sur les modes de transmission orale à l’intérieur des familles.

La compréhension d’événements historiques implique leur connaissance et la compréhension du processus historiographique. Comment écrivons-nous l’histoire ? Quelle doit-être notre attitude vis-à-vis de l’histoire écrite, de l’enseignement de l’histoire, de manière à ré-assembler les éléments contradictoires du passé ainsi que du présent ? Est ce que l’expérience d’autres pays pourrait servir ? Etc.

 

 

Intervenants

 

Mucahit Bilici, Sociologue, doctorant, Université Bilgi, Istanbul/Université du Michigan ; Srdjan Darmanovic, Directeur du Centre pour la Démocratie et les Droits humains Podgorica ; Jovan Donev, Historien, EuroBalkan Institute, Skopje ; Petar Krasztev, Professeur de Sociologie, Université de l’Europe centrale, Budapest ; Ahmet Kuyas, Professeur d’histoire, Université Galatasaray, Istanbul ; Janko Ljumovic, Secrétaire général, Mobil Art, Podgorica ; Tchavdar Marinov, Doctorant en philosophie et histoire, Maison des Sciences de l’Homme, Paris ; Mirela Murgescu, Professeur d’histoire, Université de Bucarest, Bucarest ; Andrea Peto, Professeur d’histoire, Université de l’Europe centrale, Budapest ; Svetlana Racanovic, Coordinateur de projet, Mobil art Foundation, Podgorica ; Valérie Rosoux, Historienne, chercheuse, Université Catholique de Louvain, Bruxelles ; Jacques Rupnik, Professeur de Sciences politiques, Directeur de recherche au CERI (Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris) ; Obrad Savic, Philosophe, Directeur Cercle de Belgrade, Belgrade ; Bozidar Slapsak, Professeur d’histoire, Université of Ljubljana, Ljubljana ; Milka Tadic, Directeur du journal Monitor, Podgorica.

 

 

Les partenaires

 

Euro-Balkan Institute ; Directeur : Jovan Donev ; Coordinateurs : Despina Angelovska, Natasha Zaeva. Centre culturel français ; Directeur : Rodolphe Courpied.

Pour l’université d’été : Directeurs : Jovan Donev (EuroBalkan) et Ghislaine Glasson Deschaumes (Transeuropéennes) ; Chargés de projet : Natasha Zaeva (EuroBalkan), Silvie Camil, Sébastien Babaud (Transeuropéennes) ; Coordination scientifique : Mucahit Bilici (Transeuropéennes).